CAP ou PAS CAP #4

CAP ou pas CAP ? #4    

Le tendon d'Achille de Michel

Dr Hervé AUQUIER & Mr Anh Phong NGUYEN

Remerciements particuliers à Kevin Goussens et Loan Lesage pour leur collaboration

Cet été Running Solutions vous propose de petits cas cliniques en course à pied (CAP).

Le fil conducteur sera "le coureur et l'imagerie médicale".

Michel est un ultra trailer de 52 ans. Il pratique le trail running depuis 15 ans. Il court 4 à 5 fois par semaine pour un total hebdomadaire de 50 km. En retard sur son programme de préparation d’une course de 180km, il a augmenté son volume à 100 km par semaine du jour au lendemain et ce durant les deux semaines avant la course prévue.


Dans les jours qui suivent son ultra trail, il ressent progressivement une douleur dans le tendon d’Achille à la course et observe un épaississement de la portion médiane du tendon, douloureuse à la palpation. Lors du démarrage matinal ou après une position assise prolongée il ressent une tension dans le tendon qui disparaît après quelques pas. Il avait déjà ressenti les mêmes symptômes il y a 15 ans en débutant le trail.


Il se repose une petite semaine et reprend la course à pied progressivement d’abord à raison de 3 sorties de 20 minutes par semaine. Chaque semaine il augmente progressivement la longueur de ses sorties, soigne le renforcement musculaire du mollet et se porte plutôt bien. Après six semaines, il ne ressent plus de raideur au démarrage, court sans douleur 4 fois par semaine une dizaine de kilomètres. Son tendon est toujours modérément épaissi.


Il a passé une échographie dans les quinze jours qui ont suivi son ultra et le protocole montre un tendon épaissi dans sa partie moyenne avec quelques zones hypoéchogènes.


Que va faire Michel avec ces informations ? Les signes échographiques sont-ils corrélés à la gravité de la situation ?  Sont-ils prédictif de l’évolution des symptômes ?


Et surtout : CAP ou pas CAP ?


C’est quoi une tendinopathie ?

 

Le diagnostic de tendinopathie d’Achille est avant tout clinique donc fait par le médecin qui observera (1):

  • une douleur localisée au niveau du tendon d’Achille
  • Une douleur qui s’aggravent avec la mise en charge
  • Une douleur à la palpation.


Quels sont les signes échographiques de tendinopathie ?


L’échographie est un examen complémentaire accessible et relativement peu coûteux pour poser le diagnostic de tendinopathie d’Achille. Les experts s’accordent pour dire que les signes échographique de tendinopathie d’Achille sont les suivants :

  • L’épaississement d’une portion du tendon par rapport au tendon du côté sain ou à une population asymptomatique (2 - 5, 6 - 8)
  • Une augmentation de la section transversale du tendon (2, 6, 9),
  • Des zones hypoéchogènes (2, 6) signant une modification de structure du tendon et enfin,
  • Un certain degré de néovascularisation, c’est-à-dire l’apparition de micro-vaisseaux sanguin au sein des tendons (6, 10, 8, 11).


Attention cependant car il existe des tendons "malades" à l’échographie qui n’ont pas mal et des tendons qui ont mal et qui n’ont pas de signes de "maladie" à l’échographie ! Il faut donc faire attention et ne pas conclure trop rapidement :  " si j’ai mal = cela va se voir à l’échographie" !


La question qui intéresse Michel est de savoir s’il existe une relation entre la structure échographique du tendon et la douleur ou la fonction du tendon d’Achille.


    => Pour aller plus loin :

     Des signes de néovascularisation sont présents dans 46,7% des tendons symptomatiques dans l’étude de Leung & Griffith (6).        Tandis que dans l’étude de de Vos et al. (11), 63% des tendons symptomatiques présentent des néovaisseaux.


     Il n’est pas rare de retrouver ces signes échographiques dans des tendons totalement asymptomatiques. Ainsi, dans trois études       les tendons asymptomatiques contrôles (qui n’ont pas de pathologie) présentent  des zones hypoéchogènes (5, 6, 8). Leung &          Griffith (6) ont retrouvé des zones hypoéchogènes dans 11 % des tendons chez des sujets asymptomatiques. Mkumbuzi et al. (8)      ont mis en avant des anomalies échographiques dans 49% des tendons symptomatiques contre 24% des tendons sains                    controlatéraux. A contrario, il arrive que des tendons symptomatiques ne montrent aucune anomalie échographique (14, 15).

 

 

Y a-t-il des signes échographiques de gravité de la tendinopathie ?

 

Globalement, les études scientifiques obtiennent des résultats contradictoires lorsqu'il s'agit d'établir un lien entre l’imagerie et les symptômes des patients atteints de tendinopathies d’Achilles. De plus, ces études ne démontrent aucune associations entre les résultat échographiques et le pronostic du traitement.


On ne peut donc pas dire à Michel que l’épaississement de son tendon et la zone hypoéchogène ont un lien avec l’intensité des symptômes. En plus son imagerie ne nous explique pas si Michel guérira plus vite ou non !


    => Pour aller plus loin :


     Une étude de Bakkergaard et al. (12) met en évidence une relation significative entre l’épaisseur du tendon et le score EVA              (Echelle d’évaluation de la douleur) à la palpation et aussi à la douleur matinale ainsi qu’une relation entre hypoéchogénicité et          échelle EVA à la palpation, et également une corrélation significative  importante entre l’augmentation de la vascularisation et un        score EVA à la fonction.


     Par contre plusieurs auteurs démontrent la non association entre les symptômes et l’imagerie.

    Ainsi, Mkumbuzi et al. (8) n’ont pas trouvé d’association significative entre les scores évaluant la sévérité clinique et la douleur          tels que le VISA-A (Victorian Institute of Sport Assessment - Achilles), le sf-MPQ (Short-form McGill Pain Questionnaire), le sf-BPI      (hort-form Brief Pain Inventory ) et des anomalies échographiques telles que l’augmentation de l’épaisseur ou encore                          l’hypoéchogénicité du tendon. Un résultat en accord avec de Vos et al. (13) dont la proportion de tendons  échographiquement          anormaux n’était pas corrélée au score VISA-A. Concernant la néovascularisation, trois études ont essayé d’établir une                      association entre cette dernière et le score VISA-A. Aucune des 3 études n’a pu mettre en évidence une association entre le

    degré de néovascularisation et le score VISA-A lors de l’évaluation clinique (14, 8, 11). Les 3 études ont inclus une population            d’âge identique, d’une quarantaine d’années, mais seuls Mkumbuzi et al. (8) ont étudié une population sportive.

 

    Concernant le pronostic, Bakkergaard et al. (12) ont montré une corrélation entre diminution de la douleur estimée par un score        EVA et aspect échographique du tendon (épaisseur, hypoechogénicité, hypervascularisation à 1, 2, 3 et 6 mois d’évolution. Il               s’agit d’une estimation de la douleur par échelle EVA  plutôt qu’un score de fonctionnalité validé tel que le VISA-A.

    De Vos et al. (13) ont mis en évidence que le degré de désorganisation de la structure du tendon lors de l’évaluation initiale ne          permettait pas de prédire le changement de la gravité des symptômes évaluée par le score VISA-A après 24 semaines. C’est la        seule étude s’étant intéressée au score VISA-A.  Concernant la valeur pronostic de la néovascularisation, l’étude de de Vos et al.      (11) n’ont retrouvé aucune corrélation entre les tendons avec ou sans néovascularisation initiale et l’augmentation du score

    VISA-A. Enfin, Khan et al. (14) ont mis en évidence que le grade de sévérité échographique initial n’était pas significativement            associé aux résultats cliniques à un an. Ils ont été plus loin en évaluant la structure du tendon durant le suivi. Une anomalie                 moins importante de la structure du tendon lors du suivi n’était pas associée à une amélioration clinique à 1an.

 

Quand réaliser une échographie ?

 

L’échographie serait utile dans deux cas de figure. (15)

     D’une part si la symptomatologie du patient ne répond pas aux critères suivants :

    • Douleur localisée de 2 à 7 cm de l’insertion du tendon sur le calcanéum
    • Douleur tendineuse lors de la mise en charge
    • Un épaississement localisé du tendon et douleur à la palpation de la portion médiane du tendon.                                      

     Et d’autre part si la symptomatologie du patient correspond à ces mêmes critères, mais lorsqu’il y a une évolution inattendue lors       du traitement.


Comment comprendre tout cela ?


Pour comprendre ce qu’il se passe, on peut se référer au modèle du continuum de Cook et Purdham, proposé en 2009 et revisité en 2016 (16). Ils soulignent que dans la littérature scientifique il y a autant d’associations que de dissociations entre douleur, fonction et structure. La douleur peut être partiellement la cause d’un problème de fonction dans la mesure où elle induit une perte de force et de contrôle moteur. Par ailleurs une perte de fonction peut survenir sans la moindre douleur. (Fig 1) 

Fig 1. Modèle du continuum de Cook & Purdham, BJSM VOL 50 ISSUE 19

Que proposer à Michel ?


Michel a déjà intuitivement compris ce qu’il fallait faire. Il a revu sa progressivité en termes de charge en course à pied et il a remusclé le mollet. En quelques sorte il sollicite la partie saine de son tendon qui s’adapte et qui palie au déficit de la portion abîmée de son tendon.

Et pour l’avenir, on suggérera à Michel, comme à tout coureur blessé ou non blessé, d’augmenter progressivement la charge d’entraînement, s’il désire courir davantage, afin que le tendon ait le temps de s’adapter.

 

Bibliographie


1. de Vos RJ, van der Vlist AC, Winters M, van der Giesen F, Weir A. Diagnosing Achilles tendinopathy is like delicious spaghetti carbonara: it is all about key ingredients, but not all chefs use the same recipe. Br J Sports Med. 2021;55(5):247-8.

 

2. Azzoni R, Cabitza P. Achilles tendon pathology: the role of ultrasonography. Journal of Orthopaedics andTraumatology. 2004;5(3):172-7.

 

3. Blankstein A, Cohen I, Diamant L, Heim M, Dudkiewicz I, Israeli A, et al. Achilles tendon pain and related pathologies: diagnosis by ultrasonography. Isr Med Assoc J. 2001;3(8):575-8.

 

4. Romero-Morales C, Martín-Llantino PJ, Calvo-Lobo C, Palomo-López P, López-López D, Pareja-Galeano H, et al. Comparison of the sonographic features of the Achilles Tendon complex in patients with and without achilles tendinopathy: A case-control study. Phys Ther Sport. 2019;35:122-6.

 

5. Reiter M, Ulreich N, Dirisamer A, Tscholakoff D, Bucek RA. Colour and power Doppler sonography in symptomatic Achilles tendon disease. Int J Sports Med. 2004;25(4):301-5.

 

6. Leung JL, Griffith JF. Sonography of chronic Achilles tendinopathy: a case-control study. J Clin Ultrasound. 2008;36(1):27-32.

 

7. van Schie HT, de Vos RJ, de Jonge S, Bakker EM, Heijboer MP, Verhaar JA, et al. Ultrasonographic tissue characterisation of human Achilles tendons: quantification of tendon structure through a novel non-invasive approach. Br J Sports Med. 2010;44(16):1153-9.


8. Mkumbuzi NS, Jørgensen OH, Mafu TS, September AV, Posthumus M, Collins M. Ultrasound findings are not associated with tendon pain in recreational athletes with chronic Achilles tendinopathy. TRANSLATIONAL SPORTS MEDICINE. 2020;3(6):589-98.

 

9. Arya S, Kulig K. Tendinopathy alters mechanical and material properties of the Achilles

tendon. J Appl Physiol (1985). 2010;108(3):670-5.

 

10. Divani K, Chan O, Padhiar N, Twycross-Lewis R, Maffulli N, Crisp T, et al. Site of maximum neovascularisation correlates with the site of pain in recalcitrant mid-tendon Achilles tendinopathy. Man Ther. 2010;15(5):463-8.

 

11. de Vos RJ, Weir A, Cobben LP, Tol JL. The value of power Doppler ultrasonography in Achilles tendinopathy: a prospective study. Am J Sports Med. 2007;35(10):1696-701.

 

12. Bakkegaard M, Johannsen FE, Højgaard B, Langberg H. Ultrasonography as a prognostic and objective parameter in Achilles tendinopathy: a prospective observational study. Eur J Radiol. 2015;84(3):458-62.

 

13. de Vos RJ, Heijboer MP, Weinans H, Verhaar JA, van Schie JT. Tendon structure's lack of relation to clinical outcome after eccentric exercises in chronic midportion Achilles tendinopathy. J Sport Rehabil. 2012;21(1):34-43.

 

14. Khan KM, Forster BB, Robinson J, Cheong Y, Louis L, Maclean L, et al. Are ultrasound and magnetic resonance imaging of value in assessment of Achilles tendon disorders? A two year prospective study. Br J Sports Med. 2003;37(2):149-53.

 

15. de Vos RJ, van der Vlist AC, Zwerver J, Meuffels DE, Smithuis F, van Ingen R, et al. Dutch multidisciplinary guideline on Achilles tendinopathy. Br J Sports Med. 2021;55(20):1125-34.

 

16. Cook JL, Rio E, Purdam CR, Docking SI. Revisiting the continuum model of tendon pathology: what is its merit in clinical practice and research? Br J Sports Med. 2016 Oct;50(19):1187-91. doi: 10.1136/bjsports-2015-095422. Epub 2016 Apr 28. PMID: 27127294; PMCID: PMC5118437.