CAP ou PAS CAP #5

CAP ou pas CAP ? #5    

Le genou de Christian

Dr Hervé AUQUIER & Mr Anh Phong NGUYEN


Cet été Running Solutions vous propose de petits cas cliniques en course à pied (CAP).

Le fil conducteur en est "le coureur et l'imagerie médicale". Le cas de Christian clotûre notre série de l'été.

Christian a 54 ans. Il pratique le trail depuis bientôt 10 ans. Il court entre 40 et 50 km par semaine dans les champs et les bois, ce qui représente une dénivelé positif hebdomadaire de 600 à 700 mètres. Il ne s’est jamais blessé. Au décours de travaux dans sa maison et d’une position à genoux une journée entière, il a ressenti une douleur au genou gauche d’apparition progressive.  Le lendemain son genou était gonflé. La marche était possible mais douloureuse. En conséquence, Christian n’a plus osé courir et ses douleurs se sont estompées avec ces quelques jours de repos.


Un arthroscanner lui est proposé. Il montre une déchirure complexe du bord libre de la corne postérieure du ménisque interne.

(Fig. 1).


L’équipe médicale en charge lui propose les recommandations suivantes :

  1. Arrêter la course à pied de manière définitive.
  2. Si les douleurs persistent, envisager une arthroscopie de débridement.

Fig. 1 : athroscanner du genou gauche. La flèche bleue indique la localisation de la déchirure méniscale.

Christian se pose plusieurs questions : 


  1. Il n’a jamais eu de traumatisme. Alors d’où vient cette lésion méniscale ?
  2. La course à pied prédispose-t-elle à des lésions méniscales ?
  3. Doit-il envisager une arthroscopie avec nettoyage méniscal ?
  4. Et surtout, CAP ou pas CAP ?

 

Comment pouvez-nous aider Christian ?


  1. Lésion méniscale traumatique ou non ?


Il est important de distinguer la lésion aiguë de la lésion chronique du ménisque. La lésion aiguë est traumatique, elle survient généralement dans des sports de pivot, contact et changements inattendus de direction dans la course. Elle est généralement verticale, oblique ou longitudinale (1).


La lésion chronique ou dégénérative est généralement horizontale et complexe. Elle est plus fréquente avec l’âge, elle est souvent associée avec le surpoids et la sédentarité. On la retrouve plus fréquemment dans des métiers où la position à genoux ou accroupie est fréquente (mineurs, carreleurs, couvreurs, …). On la retrouve également dans le décours de rupture de ligament croisé et les fractures des plateaux tibiaux (1)


Faut-il s’inquiéter de l’image scanner ?


D’un point de vue de l’imagerie et seulement de l’imagerie, il n’y a pas lieu de s’inquiéter de manière systématique. Culvenor & al. (2) ont montré dans une revue systématique de 2018 que près de 19% de patients asymptomatiques de plus de 40 ans présentent une déchirure méniscale à l’IRM. Cette même étude a montré des dégradations du cartilage chez 43% des sujets asymptomatiques. De plus, Englund & Al  (3) ont montré que la prévalence de lésion méniscale chez des personnes asymptomatiques âgées de 50 à 90 ans est de 31 % et que la lésion est généralement une déchirure horizontale complexe.

En résumé, se baser sur l’imagerie uniquement sans prendre en compte le reste de la clinique serait potentiellement erroné.

 

      2. La course à pied prédispose-t-elle à la lésion méniscale ?


L’incidence de la lésion méniscale est de 0.61 à 0.70 pour 1000 dans la population générale aux USA, elle est de 8.27 pour 1000 parmi la population jeune et sportive. (4) Cependant, la course à pied ne figure pas parmi les sports à risque de lésion méniscale. Mitchell & al l’ont montré dans une étude prospective entre 2007 et 2013 (4). Ils ont suivi des collégiens dans différents sports pendant 6 ans. Ils ont répertorié 1082 lésions méniscales.

Les sports les plus à risque de provoquer des lésions méniscales sont les sports de contact, de pivots et de changements brutaux de direction comme le foot US (459 cas), le football (170 cas) et le basket (168 cas). L’athlétisme (toutes épreuves confondues) représente 34 cas et le cross-country seulement un cas.


Shellock et al (5) en 1991 n’avaient pas trouvé davantage de lésion méniscale chez des marathonien que chez des sédentaires. Mais l’étude ne concernait que 43 personnes.


Beals & al (6) en 2016 ont réalisé une revue systématique qui regroupait 14 études, ce qui représente 295 athlètes asymptomatiques âgés de 14 à 66 ans (moyenne : 31.2 ans). Ils rapportent 31.1 % de lésions méniscales dont 27.2% de dégénération mucoïde intra tendineuse et 3.9% de déchirure méniscale.


Quels sont les facteurs prédisposants une lésion méniscale ?


Dans leur revue de littérature de 2020, Gee & al. (1) rappellent que parmi les facteurs associés à la lésion méniscale certains sont modifiables :

  • Le surpoids (BMI > 30°).
  • La sédentarité.

 D’autre non modifiables :

  • L’âge.
  • Le sexe.
  • La configuration anatomique du plateau tibial, du ménisque.
  • le valgus du genou.

 

       3. To bistouri or not bistouri ?


Et bien il n’existe pas de recommandation qui prône l’utilisation systématique de l’intervention chirurgicale. Un traitement conservateur de bonne qualité reste également valable et démontre des résultats équivalents voire meilleurs (e.g. : l’intervention chirurgical comporte également des risques secondaires, telles que les infections mais surtout l’augmentation du risque d’arthrose)


          Pour aller plus loin :


                     - Khan & al. (7) ont montré en 2014, dans une méta-analyse, que le débridement méniscal par arthroscopie pour une                              dégénérescence méniscale n’apporte pas de bénéfice supplémentaire à un traitement conservateur.


                     - Li & Al. (8) arrivent aux mêmes conclusions en 2020 dans une méta-analyse regroupant 1006 patients. L’arthroscopie                         de débridement apporte un léger avantage en termes de douleur et fonction à 12 mois, mais à 24 mois, l’arthroscopie                         ne montre pas de bénéfice par rapport au traitement fonctionnel.


                      - Sihvonen & al. ( 9) , dans l’étude « FEDELITY” ont comparé l’effet de l’arthroscopie à une chirurgie placebo parmi                              une population de 35 à 65 ans souffrant de dégénérescence méniscale. A aucun moment durant le suivi sur cinq                                ans, l’arthroscopie n’a montré de bénéfice par rapport au placebo. Au contraire, les patients ayant subit une                                        arthroscopie de débridement ont présenté, à cinq ans, une arthrose plus importante (10).


                      - Roemer & Al. (11) allaient déjà dans le même sens en 2017 dans une étude rétrospective. Les auteurs concluent                                que  la méniscectomie partielle est une option de traitement controversée pour les déchirures méniscales                                            dégénératives. La méniscectomie partielle présente un risque accru d’aggravation des lésions cartilagineuse et est                            fortement associée à une augmentation de l’incidence de l’arthrose dans l'année.

 

     4. Alors, CAP ou pas CAP ?


Etant donné l’absence de traumatisme rapporté par Christian, il s’agit probablement d’un ménisque dégénératif. La position à genoux prolongée plusieurs heures a probablement irrité un ménisque abîmé depuis bien longtemps et rien ne prouve que la course à pied en est à l’origine.


Selon toutes ces informations, il est proposé à Christian un traitement conservateur avec remise en charge progressive, travail de renforcement musculaire à charge progressive en restant dans des amplitudes fonctionnelles à la course à pied.


Et comment va Christian après cela ?


Trois mois après l’épisode douloureux, Christian a repris les entraînements et compétitions de trail au même niveau sans problème.


Cette leçon vaut bien un jogging, sans doute ! 

 

 

 

Bibliographie :

 

  • (1) Gee SM, Tennent DJ, Cameron KL, Posner MA. The Burden of Meniscus Injury in Young and Physically Active Populations. Clin Sports Med. 2020 Jan;39(1):13-27. doi: 10.1016/j.csm.2019.08.008. PMID: 31767103


  • (2) Culvenor AG, Øiestad BE, Hart HF, Stefanik JJ, Guermazi A, Crossley KM. Prevalence of knee osteoarthritis features on magnetic resonance imaging in asymptomatic uninjured adults: a systematic review and meta-analysis. Br J Sports Med. 2019 Oct;53(20):1268-1278. doi: 10.1136/bjsports-2018-099257. Epub 2018 Jun 9. PMID: 29886437; PMCID: PMC6837253.


  • (3) Englund M, Guermazi A, Gale D, Hunter DJ, Aliabadi P, Clancy M, Felson DT. Incidental meniscal findings on knee MRI in middle-aged and elderly persons. N Engl J Med. 2008 Sep 11;359(11):1108-15. doi: 10.1056/NEJMoa0800777. PMID: 18784100; PMCID: PMC2897006.


  • (4) Mitchell J, Graham W, Best TM, Collins C, Currie DW, Comstock RD, Flanigan DC. Epidemiology of meniscal injuries in US high school athletes between 2007 and 2013. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc. 2016 Mar;24(3):715-22. doi: 10.1007/s00167-015-3814-2. Epub 2015 Oct 27. PMID: 26506845; PMCID: PMC5189670.


  • (5) Shellock FG, Deutsch AL, Mink JH, Kerr R. Do asymptomatic marathon runners have an increased prevalence of meniscal abnormalities? An MR study of the knee in 23 volunteers. AJR Am J Roentgenol. 1991 Dec;157(6):1239-41. doi: 10.2214/ajr.157.6.1950873. PMID: 1950873.


  • (6) Beals CT, Magnussen RA, Graham WC, Flanigan DC. The Prevalence of Meniscal Pathology in Asymptomatic Athletes. Sports Med. 2016 Oct;46(10):1517-24. doi: 10.1007/s40279-016-0540-y. PMID: 27075327.


  • (7) Khan M, Evaniew N, Bedi A, Ayeni OR, Bhandari M. Arthroscopic surgery for degenerative tears of the meniscus: a systematic review and meta-analysis. 2014 Oct 7;186(14):1057-64. doi: 10.1503/cmaj.140433. Epub 2014 Aug 25. PMID: 25157057; PMCID: PMC4188648.


  • (8) Li J, Zhu W, Gao X, Li X. Comparison of Arthroscopic Partial Meniscectomy to Physical Therapy following Degenerative Meniscus Tears: A Systematic Review and Meta-analysis. Biomed Res Int. 2020 Mar 3;2020:1709415. doi: 10.1155/2020/1709415. PMID: 32190650; PMCID: PMC7073498.


  • (9) Sihvonen R, Paavola M, Malmivaara A, Järvinen TL. Finnish Degenerative Meniscal Lesion Study (FIDELITY): a protocol for a randomised, placebo surgery controlled trial on the efficacy of arthroscopic partial meniscectomy for patients with degenerative meniscus injury with a novel 'RCT within-a-cohort' study design. BMJ Open. 2013 Mar 9;3(3):e002510. doi: 10.1136/bmjopen-2012-002510. PMID: 23474796; PMCID: PMC3612785.


  • (10) Sihvonen R, Paavola M, Malmivaara A, Itälä A, Joukainen A, Kalske J, Nurmi H, Kumm J, Sillanpää N, Kiekara T, Turkiewicz A, Toivonen P, Englund M, Taimela S, Järvinen TLN; FIDELITY (Finnish Degenerative Meniscus Lesion Study) Investigators. Arthroscopic partial meniscectomy for a degenerative meniscus tear: a 5 year follow-up of the placebo-surgery controlled FIDELITY (Finnish Degenerative Meniscus Lesion Study) trial. Br J Sports Med. 2020 Nov;54(22):1332-1339. doi: 10.1136/bjsports-2020-102813. Epub 2020 Aug 27. PMID: 32855201; PMCID: PMC7606577.


  • (11) Roemer FW, Kwoh CK, Hannon MJ, Hunter DJ, Eckstein F, Grago J, Boudreau RM, Englund M, Guermazi A. Partial meniscectomy is associated with increased risk of incident radiographic osteoarthritis and worsening cartilage damage in the following year. Eur Radiol. 2017 Jan;27(1):404-413. doi: 10.1007/s00330-016-4361-z. Epub 2016 Apr 27. PMID: 27121931; PMCID: PMC5083232.  

Fig 1. Modèle du continuum de Cook & Purdham, BJSM VOL 50 ISSUE 19

Que proposer à Michel ?


Michel a déjà intuitivement compris ce qu’il fallait faire. Il a revu sa progressivité en termes de charge en course à pied et il a remusclé le mollet. En quelques sorte il sollicite la partie saine de son tendon qui s’adapte et qui palie au déficit de la portion abîmée de son tendon.

Et pour l’avenir, on suggérera à Michel, comme à tout coureur blessé ou non blessé, d’augmenter progressivement la charge d’entraînement, s’il désire courir davantage, afin que le tendon ait le temps de s’adapter.

 

Bibliographie


1. de Vos RJ, van der Vlist AC, Winters M, van der Giesen F, Weir A. Diagnosing Achilles tendinopathy is like delicious spaghetti carbonara: it is all about key ingredients, but not all chefs use the same recipe. Br J Sports Med. 2021;55(5):247-8.

 

2. Azzoni R, Cabitza P. Achilles tendon pathology: the role of ultrasonography. Journal of Orthopaedics andTraumatology. 2004;5(3):172-7.

 

3. Blankstein A, Cohen I, Diamant L, Heim M, Dudkiewicz I, Israeli A, et al. Achilles tendon pain and related pathologies: diagnosis by ultrasonography. Isr Med Assoc J. 2001;3(8):575-8.

 

4. Romero-Morales C, Martín-Llantino PJ, Calvo-Lobo C, Palomo-López P, López-López D, Pareja-Galeano H, et al. Comparison of the sonographic features of the Achilles Tendon complex in patients with and without achilles tendinopathy: A case-control study. Phys Ther Sport. 2019;35:122-6.

 

5. Reiter M, Ulreich N, Dirisamer A, Tscholakoff D, Bucek RA. Colour and power Doppler sonography in symptomatic Achilles tendon disease. Int J Sports Med. 2004;25(4):301-5.

 

6. Leung JL, Griffith JF. Sonography of chronic Achilles tendinopathy: a case-control study. J Clin Ultrasound. 2008;36(1):27-32.

 

7. van Schie HT, de Vos RJ, de Jonge S, Bakker EM, Heijboer MP, Verhaar JA, et al. Ultrasonographic tissue characterisation of human Achilles tendons: quantification of tendon structure through a novel non-invasive approach. Br J Sports Med. 2010;44(16):1153-9.


8. Mkumbuzi NS, Jørgensen OH, Mafu TS, September AV, Posthumus M, Collins M. Ultrasound findings are not associated with tendon pain in recreational athletes with chronic Achilles tendinopathy. TRANSLATIONAL SPORTS MEDICINE. 2020;3(6):589-98.

 

9. Arya S, Kulig K. Tendinopathy alters mechanical and material properties of the Achilles

tendon. J Appl Physiol (1985). 2010;108(3):670-5.

 

10. Divani K, Chan O, Padhiar N, Twycross-Lewis R, Maffulli N, Crisp T, et al. Site of maximum neovascularisation correlates with the site of pain in recalcitrant mid-tendon Achilles tendinopathy. Man Ther. 2010;15(5):463-8.

 

11. de Vos RJ, Weir A, Cobben LP, Tol JL. The value of power Doppler ultrasonography in Achilles tendinopathy: a prospective study. Am J Sports Med. 2007;35(10):1696-701.

 

12. Bakkegaard M, Johannsen FE, Højgaard B, Langberg H. Ultrasonography as a prognostic and objective parameter in Achilles tendinopathy: a prospective observational study. Eur J Radiol. 2015;84(3):458-62.

 

13. de Vos RJ, Heijboer MP, Weinans H, Verhaar JA, van Schie JT. Tendon structure's lack of relation to clinical outcome after eccentric exercises in chronic midportion Achilles tendinopathy. J Sport Rehabil. 2012;21(1):34-43.

 

14. Khan KM, Forster BB, Robinson J, Cheong Y, Louis L, Maclean L, et al. Are ultrasound and magnetic resonance imaging of value in assessment of Achilles tendon disorders? A two year prospective study. Br J Sports Med. 2003;37(2):149-53.

 

15. de Vos RJ, van der Vlist AC, Zwerver J, Meuffels DE, Smithuis F, van Ingen R, et al. Dutch multidisciplinary guideline on Achilles tendinopathy. Br J Sports Med. 2021;55(20):1125-34.

 

16. Cook JL, Rio E, Purdam CR, Docking SI. Revisiting the continuum model of tendon pathology: what is its merit in clinical practice and research? Br J Sports Med. 2016 Oct;50(19):1187-91. doi: 10.1136/bjsports-2015-095422. Epub 2016 Apr 28. PMID: 27127294; PMCID: PMC5118437.