Cet été Running Solutions vous propose de petits cas cliniques en course à pied (CAP).
Le fil conducteur sera "le coureur et l'imagerie médicale".
Pierre a 55 ans, il est trailer depuis l’âge de 48 ans.
A l’âge de 32 ans il a présenté une hernie discale L5/S1 expulsée avec compression de la racine S1 gauche accompagné de parésie et paresthésies dans le territoire S1 gauche pendant 6 semaines. A l’époque il lui a été signifié qu’il pouvait encore faire du vélo et de la natation mais qu’il ne pourrait plus jamais courir car il n’y avait plus de disque entre L5 et S1. Il respecta ces consignes pendant 18 ans, en se levant tous les matins, raide au niveau lombaire et présenta plusieurs épisodes de lumbago durant cette période.
La radiographie de l’époque montre un affaissement quasiment complet de l’espace L5/S1 (figure 1a). Le scanner montre une volumineuse hernie discale gauche refoulant le sac dural (Figure 1b)
Figure 1. a (gauche) radiographie sagittale de la colonne lombaire. La flèche bleue indique la zone affaissée. B. (droite) Scanner en coupe transversale démontrant le niveau L5/S1. Le flèche bleue désigne la zone entourée de bleu représentant le refoulement du sac dural.
Six semaines plus tard, il retrouve force et sensibilité dans la jambe gauche. Mais se résigne à abandonner la course à pied… Pour toujours ?
A 48 ans, il décide de préparer un trail pour fêter ses 50 ans. 31 Km et 2500 D+. Etant donné ses antécédents lombaires et par acquis de conscience, il consulte. Il a déjà repris quelques entraînements en course à pied depuis un mois et se sent plutôt bien. Il est moins raide le matin et n’a plus présenté d’épisode de lombalgie depuis le début de la reprise.
L’examen clinique montre une bonne mobilité lombaire. Il n’y a pas de trouble sensitif ni moteur au niveau des membres inférieurs.
Alors, CAP ou pas CAP ?
CAP, bien sûr ! Pierre a déjà couru à plusieurs reprises avant de consulter et se sent mieux. Pourtant l’imagerie médicale de l’époque est plutôt inquiétante. Il n’y a plus d’espace entre L5 et S1 !
Brinjikji et al. (1) ont montré en 2015 qu’une imagerie lombaire inquiétante n’est absolument pas corrélée à des lombalgies. Ainsi, dans leur revue systématique, les auteurs montrent que parmi des personnes totalement asymptomatiques autour de la cinquantaine, 80% montrent une dégénérescence discale à l’IRM, 60% un bombement discal, 36% une hernie discale et 32% une arthrose lombaire facettaire.
En allant plus loin, la course à pied n’est pas mauvaise pour le dos. Dans une revue systématique de 2020, regroupant 19 études, Maselli et al. (2) ont montré que sur une année, si 38% de la population générale souffraient du dos, seulement 14% des coureurs en souffraient, soit moins de la moitié ! Et sur une vie entière, on estime que 47% des sédentaires souffrent de lombalgies pour seulement 20% chez les coureurs. Les auteurs concluent que vu la faible prévalence des lombalgies chez le coureur, la course à pied pourrait être considérée comme un facteur protecteur au développement de lombalgies.
Enfin, Belavy et al. (2017) ont montré l’effet bénéfique de la course à pied sur la santé du disque intervertébral. Ainsi l’épaisseur moyenne du disque, son taux d’hydratation et sa contenance en protéoglycan sont plus élevés chez les coureuses et coureurs. Ceci est également vrai pour des marches rapides ou course à faible vitesse accompagnées de petites accélérations.
Que proposer à Pierre ?
Continuer à courir régulièrement à évoluer progressivement en y rajoutant éventuellement du renforcement musculaire. Pierre démontre spontanément une technique de course optimisée avec une cadence élevée, une oscillation verticale contrôlée et faible et pas d’overstride.
Va-t-on lui proposer une nouvelle imagerie ? Non, cela ne va rien changer, Pierre court et n’a pas mal au dos ni pendant ni après la course. Mieux il n’a plus de raideurs matinales et plus d’épisode de lumbago.
Oui, mais à l’avenir ?
L’avenir, c’est maintenant. Aujourd’hui, Pierre a 55 ans, depuis 7 ans, il court 1000 à 1200 km par an. Il a participé à une trentaine de trails de 20 à 35 km et n’a pas mal au dos depuis la reprise de sa carrière de coureur !
Et si la course à pied était un traitement ?
Moralité
L'anamnèse et l'examen clinique sont prépondérants.
Beaucoup d'imageries "pathologiques" sont observées chez des sujets asymptomatiques.
L'imagerie n'est utile que si elle permet d'éclairer le diagnostic ou adapter le traitement,
On ne soigne pas des images, mais des patients.
Cette leçon vaut bien un jogging, sans doute ! (4)
Bibliographie